FORUM SAINT-JOHN PERSE
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Forum de discussions du site Internet Sjperse.org. Discussions et réflexions à propos de Saint-John Perse et de sa poésie ; informations relatives à la diffusion de son oeuvre.
 
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 Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)

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4 participants
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Irmeyah




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MessageSujet: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyJeu 1 Mar - 17:54

Bonjour à tous,

Ce message s'adresse particulièrement à Loïc Céry et aux spécialistes et amateurs de SJP.

Avez-vous lu cet article :
http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=1495
?


En conclusion, voici les propos que tient M. Victor, et qui m'étonnent extrêmement, notamment parce que ma lecture personnelle me pousse à une conception diamétralement opposée de la poésie de Perse :

(...) dire épopée à propos de ce poème ne se peut que par une extension considérable du mot. Si Vents est une épopée, c'est une épopée immobile, ce qui est contradictoire. Le poète tient sous son regard tous les siècles, tous les millénaires, et aussi des espaces multiples, mais rien ne bouge. Et lui-même ne bouge pas, qu'il soit le Narrateur, ou le Poète, ou encore quelqu'un d'autre. On ne sait d'ailleurs pas bien où il est dans l'espace, ni dans le temps. Les vents sont des mouvements et des moteurs, mais métaphoriques, ou allégoriques, et les pays vers où ils portent le Poète sont imaginaires, ou du moins visités, envisagés, recomposés par l'imagination.
(...)
Mais même si on fait sa place à l'argumentation du poète, on est obligé de constater en même temps que cette poésie est relativement désancrée d'un temps et d'un espace concrets. Sous ses allures de poésie grimoire ou de poésie souvent encyclopédique, et savante, et malgré ses extraordinaires beautés d'images et de rythmes, ce n'est pas une poésie à charge humaine.
(...)
La différence radicale est que la poésie de Claudel est relation puissante au monde, alors que la poésie de Perse est relation à la poésie. Ou, si on préfère, que l'une se fait autour d'un plein, le réel, et l'intuition religieuse du réel dans le réel, alors que l'autre se fait autour d'un vide. Il est tout de même significatif de voir que la poésie de Claudel est une poésie du verbe, au sens grammatical du mot. Il n'y a pas de réalité, pas de substance dans la poésie de Perse, autre que celle, tout imaginaire, qui se déploie au croisement des sons, des rythmes, des images, et de formes archaïques de la langue.
(...)
Elle est à elle-même un réel, un ersatz de réalité. . Et il y a dans la thématisation de ce réel fantasmagorique un déni terrible de la réalité commune et ordinaire. (...)


(c'est moi qui souligne)

Qu'en pensez-vous ???

Bientôt, je vous proposerais volontiers une réfutation par le texte de ces propos, mais j'aimerais avoir d'abord vos avis SVP.

Merci.


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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyVen 2 Mar - 6:41

Bien bien bien... Je vois, et j'en suis absolument ravi, que tous les persiens, récents ou moins récents, veillent au grain ; que le forum soit pour tous ceux-là une caisse de résonnance (et, serais-je tenté de le dire, de "raisonnance"), mon voeu initial s'en trouve comblé... Et d'autant plus quand tout un chacun y apporte sa contribution, avec son ton propre, et son souci critique prore... Aussi, je voudrais avant toute chose, remercier grandement Irmeyah pour avoir attiré l'attention sur cette toute récente mise en ligne, qui m'avait échappé, je dois l'avouer. Merci à vous, déjà pour cette veille-là, avant que de vous remercier encore plus loin, d'une sagacité qui me comble, je vous assure.

Toujours en guise de préambule, je voudrais, au-delà de toute précaution oratoire, faire un point qui me paraît utile, à propos d'une question structurelle et institutionnelle. Je m'explique : les années d'agrégation se déroulent souvent sur le même moule et les mêmes habitudes et font aussi appel, comme par réflexe pavlovien, aux mêmes tics universitaires. Parmi ceux-là, la tenue de journées d'agrégation qui apportent souvent de la matière aux candidats, mais relèvent parfois de certaines complaisances, au gré desquelles les auteurs de communications, qui ne sont pas toujours des spécialistes des auteurs sur lesquels ils se penchent, produisent des analyses où sont risqués certains jugements hâtifs, et au pire, comme c'est le cas, ici, sécrètent des contresens très dommageables. Qu'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de limiter le discours critique concernant un auteur aux seuls spécialistes "adoubés", mais en une année si importante pour les candidats à une épreuve si exigeante, il paraît important en terme déontologique, de veiller scrupuleusement à la rectitude des analyses livrées. En matière d'analyse littéraire, une diversité d'approches est possible et même légitime ; ce qui est absolument illégitime, c'est de prononcer et surtout de diffuser des contresens qui, par la suite, induisent en erreur les candidats passant un concours. La responsabilité en incombe aux auteurs des divers articles bien sûr (au gré des diverses journées foisonnant çà-et-là), mais avant tout aux organisateurs des événements en question. Ceux qui auront suivi les journées du Lucernaire auront noté ce souci, et je ne m'y étendrais pas. L'enjeu me paraît capital : les candidats à l'agrégation doivent disposer d'outils utiles et de qualité, comme cela a été le cas pour Saint-John Perse tout au long de cette année (la diversité des publications est concernée par cette qualité générale, signe aussi d'une distance critique qui a opéré). Pour ma part, je me suis efforcé, par le biais des journées de décembre et du numéro spécial de La nouvelle anabase, de proposer aux agrégatifs des outils de cet ordre et au moins sur une base générique, je puis assurer les uns et les autres, de la fiabilité de tout ce qui a été diffusé par ces biais-là. Par ailleurs, les agrégatifs disposent traditionnellement de bibliographies très scrupuleusement établies, et pour ce qui est du domaine persien cette année, tout cela a été encore renforcé par les outils publiés dans L'information littéraire par Colette Camelin ; pour ce qui a trait aux publications en tant que telles, ce foisonnement heureux que je pressentais au moment de la désignation de Perse a été aussi au rendez-vous : qu'il s'agisse du récent ouvrage de Colette Camelin, Saint-John Perse. L'imagination créatrice, du commentaire de Vents publié par Henriette Levillain, des récents ouvrages de Renée Ventresque et de Catherine Mayaux (voir la mise à jour bibliographique sur le site : http://www.sjperse.org/evenements.htm ), cette même qualité des outils mis à la disposition des candidats a bien été une réalité. Pour aller vite, je dirais donc qu'il y a de quoi se réjouir dans ce domaine. Mais bien sûr, on ne pouvait éviter que bon an mal an, passe au travers du tamis, quelque article de circonstance livré dans l'urgence de la tenue de telle ou telle journée d'études, et relevant davantage de l'approximation que d'autre chose. Et je le dis, avec toute la gravité qu'il me paraît important de conserver ici : cette habitude est simplement inadmissible. Il s'agit, encore une fois, d'un concours d'enseignement, qui doit être préparé dans les limites temporelles que l'on sait, et il est important surtout en de pareilles circonstances, de ne pas diffuser d'analyses approximatives ou, plus grave, faussées. Et je me fonde uniquement sur le texte mis en ligne ici, sur le site "Loxias", de la part de Lucien Victor, pour déplorer qu'en l'espèce, on soit en présence d'un cas d'école : ce genre de suite de lourds contresens, venant à la connaissance des candidats, est très dommageable, et peut entraîner de réelles erreurs de jugements lors des épreuves. Structurellement parlant donc, tout cela me paraît grave. Cet article, par cette voie de diffusion numérique (j'ose espérer qu'il ne sera jamais publié par voie classique), est suceptible d'induire en erreur les candidats qui le liront. Assumant pleinement mon propos, je dis ici qu'il est parfaitement irresponsable de diffuser de pareilles inepties et je déplore vivement que tel ait été le cas. Je suis d'autant plus sensible à l'éveil critique de la part d'un candidat qui vient de passer l'épreuve interne, d'avoir été alerté par cette diffusion. Une fois pour toutes (mais c'est là un idéal assez utopique, j'en suis conscient), qu'on comprenne bien qu'en matière d'analyse littéraire, tout ne vaut pas tout, qu'un jugement critique se doit de toujours rester conforme à la lettre d'une oeuvre et qu'au-delà de la subjectivité d'analyse, il est bien des questions qui demeurent comme un "socle commun" pour un auteur donné, et en dehors desquelles on entre dans la pure fantaisie (dirait Caillois). Le bavardage est toujours possible, mais ne peut pas permettre tout jugement, fût-il le plus stupéfiant, d'être validé. Que le sens critique d'un candidat ait pu s'exercer avec une telle acuité, c'est là un signe plus qu'encourageant, et je ressens comme une obligation de le relayer par les mises en perspectives que je propose à tous ici, en guise de réfutation véhémente des prédicats et conculsions de cet article, qui ne peut être le fait que d'un critique qui n'a pas lu l'auteur dont il parle, ou alors il y a bien longtemps, avec de surcroît des présupposés intégralement faussés.

Je n'aurai le souci de relever que les plus incroyables énormités des conclusions de cet article, pointées par Irmeyah - le reste de l'article, quand il ne manie pas de telles énormités, est simplement dépourvu de tout intérêt : relever les substantifs, bon, et après ? Au début de l'essai consacré à Vents, j'ai tenté de traiter justement de ce motif d'une identification générique du poème qui n'est pas une question suballterne. Car parler d'épopée à l'endoit de Vents, c'est se situer dans le sillage de Paul Claudel et de Jean Paulhan qui, les premiers, ont envisagé ainsi le poème et l'oeuvre de Perse. Et écrire, oui, écrire, comme le fait L. Victor, qu'il ne s'agirait pas d'une épopée moderne au motif qu'il s'agirait d' "une épopée immobile, ce qui est contradictoire. Le poète tient sous son regard tous les siècles, tous les millénaires, et aussi des espaces multiples, mais rien ne bouge. Et lui-même ne bouge pas, qu'il soit le Narrateur, ou le Poète, ou encore quelqu'un d'autre." - tout cela, je vous l'avoue me donne le tourni... Vents, poème immobile, quand précisément, l'organisation structurelle, la mise en oeuvre stylistique et les fondements philosophiques sur lesquels il repose mettent en jeu la notion centrale de mouvement, quand ce texte est tout entier organisé sur un parcours avide de l'espace... tout cela est simplement si-dé-rant. S'agirait-il, comme par jeu, de prendre le contre-pied de toutes les études du texte qui ont été produites jusqu'à ce jour ? Bref, je ne veux pas me perdre en conjectures devant une ineptie aussi énorme ; j'aurais néanmoins le souci de re-situer cette question de l'identification à l'épopée dans la trame critique que j'ai voulu retracer dans mon essai, en ouverture de La nouvelle anabase N° 2 (vous trouverez dans le message qui suit la reproduction de cet extrait, avec les notes de bas de pages entre parenthèses). Je fais cette auto-citation en guise de réponse, et pour attirer également l'attention de tous vers ce regard générique qui n'a rien d'interchangeable ou de secondaire :


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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyVen 2 Mar - 6:42

Le poème épique

La recherche première qui vient à l’esprit face à l’ambition même de ce massif de Vents, est certainement celle d’une identification générique du poème. Dans sa monographie de Saint-John Perse, Mireille Sacotte a bien nommé cette étendue propre au texte, relevant du « double projet de narration d’une aventure épique et de mise en scène de l’aventure poétique » (Mireille Sacotte, Alexis Leger / Saint-John Perse, Paris, Belfond, 1991, rééd. Paris, L'Harmattan, 1997.) Aventure épique : le mot est lancé, et lourd de sens dans le souci de cette définition première du texte, reprenant en cela le regard de Claudel dans l’article précité. Claudel est le premier à accorder à ce long poème au souffle racé, au pneuma envoûtant, cette particularité, cette spécificité incontestable que constitue sa nature profonde, celle d’une vaste épopée poétique composée à la fin du second conflit mondial. Le poème, qui paraît en France en 1946, apparaît en effet non comme la résurgence de l’épopée classique, mais comme un nouvel avatar épique inédit dans la poésie moderne. Qui donc aurait pu édifier pareille œuvre, véritable hapax de la production poétique d’alors, à l’exception de cet exilé de l’autre rive atlantique, qui se voulut en marge de toute vie littéraire durant son office de grand commis de l’Etat, et qui a vécu depuis 1940 les affres d’un exil dépersonnalisant, mais finalement salutaire car porteur de renouement ? Ou plus exactement : qui d’autre, plus en marge des mouvements littéraires de son époque, aurait pu oser cette hardiesse d’un poème à la veine épique en plein XXe siècle ?
Par cette identification générique à l’épopée, Claudel reconnaît en termes marquants une singularité irréductible : c’est sous le motif du genre épique, ou « contemplatif » qu’il rattache Saint-John Perse à une lointaine lignée, depuis « les vieux poètes grecs et hindous, sans parler du grand Lucrèce » – « et, ajoute-t-il à propos de Vents, dont vient de surgir au milieu de notre langue française, tel qu’un Mont Saint-Michel démesurément accusé par le jusant, un témoignage monumental. » Il n’est pas difficile de reconnaître donc l’éminente rareté « catégorielle » de cette entreprise, car en poésie moderne, personne, mis à part certainement le Hugo de la Légende des siècles, n’avait repris à son compte et relevé à nouveau le défi de l’épopée. C’est donc avec raison que Carol Rigolot y voit une réalisation du projet hugolien en matière de poème épique, réalisation rendue possible, à l’instar de Walt Whitman, par cette confrontation d’un imaginaire particulier avec les vastes immensités américaines :

« Vents is an effort to accomplish the work Hugo left undone. Like Whitman, Perse found appropriate material in the New World, with its sagas of discovery, its vast geography and varied inhabitants. All these elements figure in the expansive scope and enumeration of his poem. (...) What gives Vents and Leaves of Grass the feel of epic is their ambitious goal of relating the history of humankind, from a distant past to the contemporary moment » (Carol Rigolot, « Vents : an american epic of leaves and grass », in Forged genealogies : Saint-John Perse’s conversations with culture, Chapel Hill, North Carolina Studies in the Romance languages and literatures, 2001, p. 149. Carol Rigolot cite encore le critique William Calin : « Saint-John Perse is the first Frenchman, one of the first major poets in any language [...] to come to grisps successfully with the problem of the modern epic. » (A Muse for Heroes : Nine Centuries of the Epic in France, Toronto, University of Toronto Press, 1983).

La narration de l’histoire humaine en une vaste allégorie, bénéficiant de cette « opportunité » d’une inspiration américaine qui permette de renouveler radicalement le cadre de l’épopée, le projet hugolien repris à bras-le-corps : on le voit, l’ambition du texte n’est pas un vain mot. Mais quel peut en être dès lors la singularité, partant d’une refondation de l’épopée et non d’une restauration ? (Cf. ibid., p. 148 : « For a poet seeking to write a new French epic, America offered a priviligied domain, unexplored by Homer, Virgil, Dante. »)
Perse va faire de cette refondation l’élan même du poème, car nulle structure épique ancienne ne sera reconduite ici, comme un prétexte culturel implicite (le rejet, encore, du pur divertissement) : si épopée il y a, elle sera reformulée en fresque, où il peut d’ailleurs sembler qu’on assiste à une sorte de dépersonnalisation des motifs dynamiques traditionnellement associés au genre épique. A la suite de Jean Paulhan, qui qualifiait déjà l’œuvre de Perse d’ « épopée sans héros » (Jean Paulhan, Enigmes de Perse, La Nouvelle Revue Française, novembre 1961 – mars 1964, repris dans les Œuvres complètes de Saint-John Perse, p. 1306-1327), Dan-Ion Nasta voit dans ce « poème intempestif une épopée sans protagonistes du mouvement cosmique ». (Dan-Ion Nasta, Saint-John Perse et la découverte de l’être, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Littératures modernes », 1980, p. 91.) On devrait plutôt y distinguer, conformément aux analyses de Carol Rigolot et Jean Molino (Jean Molino, « La houle de l’éclair. A propos de Vents de Saint-John Perse », in Colloque 1980 – Saint-John Perse et les Etats-Unis. Espaces de Saint-John Perse 3, Université de Provence, 1981, p. 253.), une mutation du paradigme de l’épopée classique, qui induit dans la plupart des cas la thématique guerrière que l’on sait. Dans Vents, le héros guerrier si canonique au genre sera bien sûr remplacé par le Poète lui-même, à qui revient la charge de relever les défis de l’aventure mythique qui sera entre toutes, celle du ressourcement et du « renouement ». Jean Molino avait conclu ce faisant en une sorte de synthèse de l’épique au sein du poème, sur le modèle de l’ « épopée primaire » et de l’ « épopée secondaire » inaugurée par Dante qui, le premier, accorda au Poète la charge héroïque :

« Epopée selon Dante : le héros est, en même temps et en dernier ressort, le poète lui-même, prenant la suite des hommes, se confondant avec eux et éclairant les autres. C’est avec Dante que, pour la première fois, le poète devient héros épique. (…) Saint-John Perse opère donc, dans Vents, la fusion entre l’épopée primaire du héros guerrier et l’épopée secondaire du Poète-Héros : le héros est en même temps guerrier, poète et shaman, prophète et conducteur de peuples, parce qu’il incarne le mouvement même de l’Histoire, c’est-à-dire de l’Etre. »

Il va sans dire que la singularité d’un poème épique composé à la croisée du siècle ne laisse pas d’étonner et tend, qu’on le veuille ou non, à accréditer cette idée naguère si répandue et tant battue en brèche depuis lors, d’une œuvre irréductiblement solitaire dans la modernité. Et l’on en revient encore à la trajectoire de la critique persienne, car ce fut là, il faut s’en rappeler, l’un des enjeux importants de l’évolution des approches du poète, que de tenter de se dégager radicalement de cette réputation d’une œuvre sans précurseurs ni modèles, édifiée dans une quasi-imperméabilité vis-à-vis des dialectiques de la poésie moderne. On est effectivement revenu depuis sur ce mythe, et il aura fallu pour cela prendre les distances nécessaires avec les proclamations du poète lui-même, qui avait situé son oeuvre dans une intemporalité inaccessible et quelque peu intimidante : « Mon oeuvre […] entend échapper à toute référence aussi bien historique que géographique », comme l'écrit Perse à Roger Caillois en 1953. (O.C., p. 562.) Avant de s'en affranchir tout à fait, la critique aura souscrit pendant longtemps à cet élément particulier dû à un rapport d'envoûtement, aveuglée par l'écran de fumée d'une œuvre tenue pour résolument indépendante, dénouée de toute attache esthétique : le miracle, la magie d'une poésie de tous les temps, donc hors du temps. On est sorti de cette illusion, et de multiples investigations critiques ont permis d'établir les racines de la poésie de Saint-John Perse, des traces symbolistes au creuset claudélien, de l'influence des philosophes au positionnement critique par rapport au surréalisme : bien des pistes ont été ainsi dégagées, l'élucidation n'abolissant pas en l'occurrence l'adhésion, et permettant enfin d'entrer en intelligence et non plus en simple révérence – et le mouvement peut se vérifier pour ce qui a trait aux regards critiques portés sur Vents. Certes. Mais la tentation se fit jour alors, fût-ce à titre marginal, d’une outrance de « contextualisation », d’une sorte d’historicisation systématique de l’œuvre, qui tendait aussi à faire perdre de vue tout ce qui lui provient de son rapport original à la modernité. Une réelle aporie apparaîtrait alors, si l’on devait se fonder sur ces deux perspectives également viciées. Si l’on peut encore échapper à cette fausse alternative, c’est certainement en faisant ressortir la spécificité d’une œuvre si « extrême » en elle-même comme l’est Vents : à l’extrême d’une position de scission à l’encontre de la modernité (une épopée en plein XXe siècle, à l’heure des nihilismes) et d’une adhésion à l’heure vive de l’après-guerre (comme le montrent par exemple les dernières études établies au sujet de la présence des préoccupations scientifiques contemporaines ).
C’est un peu de cet « extrême » que veut suggérer le motif général de la présente analyse, plaçant Vents par excellence dans cet écart qui seul peut permettre d’appréhender la position de cette œuvre au sein de la modernité, déjouant la logique du porte-à-faux, avant même d’en envisager les désinences possibles : Vents de son temps ou hors du temps ?"

----------------

La même méconnaissance manifeste de Saint-John Perse permet encore à Lucien Victor d'émettre sans même l'argumenter (comment le pourrait-il du reste ?), à l'emporte pièce, cette autre énormité qui aura effectivement sauté aux yeux de tous les candidats à l'épreuve interne, qui auront été amenés à réfléchir justement sur la citation de Roger Caillois. Ainsi donc, tous les développements dont sont coutumiers ceux qui fréquentent ce forum, mais aussi et surtout toute cette suite de publications auxquelles j'ai fait allusion plus haut, toute la critique persienne en somme, suffisent à faire ressortir toute l'absurdité des considérations selon lesquelles, je cite encore (hélas) : "la poésie de Claudel est relation puissante au monde, alors que la poésie de Perse est relation à la poésie. Ou, si on préfère, que l'une se fait autour d'un plein, le réel, et l'intuition religieuse du réel dans le réel, alors que l'autre se fait autour d'un vide. Il est tout de même significatif de voir que la poésie de Claudel est une poésie du verbe, au sens grammatical du mot. Il n'y a pas de réalité, pas de substance dans la poésie de Perse" Tout cela est trop accablant, je préfère jeter l'éponge, ne ressentant pas sur ce point, le besoin de reformuler toutes les explications que j'ai pu fournir par ailleurs, au sujet justement de cette importance cruciale de l'ancrage au réel de la poétique persienne... Reportez-vous à tout cela, lisez simplement la critique persienne, à commencer par Caillois, précipitez-vous sur le dernier ouvrage de Colette Camelin... Je n'aurais que ces sages recommandations à réitérer en guise d'antidote à tant de contresens qui, au long d'un certaine confrontation, sont simplement navrants. Perse : la poésie pour la poésie... Il y a de quoi, je le répète, en avoir le vertige... Qui a dit que quand on n'avait rien à dire, il valait mieux se taire ?

J'aurai eu le souci de bien insister sur la gravité qui m'apparaît dans la simple diffusion d'un article si parfaitement inexact et faussé ; cher Irmeyah, puisque vous avez proposé une réfutation, je salue votre héroïsme et vous cède volontiers la parole. Mais comme je l'avais dit au début de cette longue réponse, je tiens à souligner combien est admirable, de la part d'un agrégatif, la sagacité dont vous avez fait preuve en pointant les lourdes erreurs de cet article regrettable et à oublier. En revanche, pour tous : ne jamais oublier l'impératif catégorique du sens critique fondé sur la connaissance réelle des auteurs, dont ne doit jamais se départir un candidat à l'agrégation. Ce sera là votre meilleure défense contre ce type d'avalanche toujours imprévisible. Et le saviez-vous : dans la vaste bibliothèque qui lui servait de cabinet de travail, dans l'hôtel particulier qu'il habitait non loin des Arènes de Lutèce, Jean Paulhan, soumis au flux ininterrompu des envois d'ouvrages, avait coutume de constituer deux tas, qu'il avait lui-même qualifiés ainsi un jour, en réponse à la curiosité d'un visiteur : "D'un côté, les livres-que-c'est-la-peine, et de l'autre, les livres-que-c'est-pas-la-peine". En matière d'études critiques, puissent les agrégatifs procéder à leur tour, à la juste répartition.

Loïc Céry - accablé mais rassuré.


Dernière édition par le Sam 3 Mar - 3:42, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyVen 2 Mar - 13:25

Merci.

J'avais écrit une longue réponse qui s'est perdue pendant l'"envoi", je n'ai pas le temps de la réécrire, je surmonte mon terrible désarroi et je ne vous donne que la conclusion de mes citations adressées à Lucien Victor :

"Et vous, hommes du nombre et de la masse, ne pesez pas les hommes de ma race. Ils ont vécu plus haut que vous dans l'abîme de l'opprobre. (...)
Et sur la lourde phrase humaine, pétrie de tant d'idiomes, ils sont seuls à manier la fronde de l'accent." (IV, 4)
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Al.




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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyDim 1 Juil - 0:44

Hum hum... Si je puis me permettre... Ho et puis oui, je me permets ! Je sais que vous faites partie des "hommes de douceur" et que vous ne m'en voudrez pas trop Wink

Alors : Je vous trouve bien catégorique M. Céry ! Vous vous situez dans le sillage de Paulhan et Claudel, mais je pense aussi au petit chemin de traverse ouvert par Meschonnic. Moi, j'aime bien Meschonnic, j'aime bien les empêcheurs de tourner en rond, les troubleurs de fête de la poésie, et je trouverais très dommage de ne devoir s'en tenir qu'à une version... officielle ou non. Tous les outils sont bons, tant qu'on se rappelle bien que ce ne sont QUE des outils, et qu'ils doivent nous servir à forger notre propre voie/voix.


Et si, Irmeyah : si Saint-John Perse est à l'agreg, c'est bien pour qu'on le pèse.
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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyDim 1 Juil - 11:14

Bonjour à vous ; si vous me trouvez catégorique, c'est que je l'ai été bel et bien à propos de ce regrettable article. Mais vous arrivez bien tard, et après la bataille... L'homme de douceur ne saurait néanmoins manquer de profiter justement de l'occasion, pour rebondir en quelque sorte sur votre remarque ; j'ajoute que je ne vous en veux pas le moins du monde - comment serait-ce possible du reste ? Je ne suis pas sûr de saisir réellement l'objet de votre message, mais je voudrais tenter cependant de répondre à trois points que vous soulevez, me semble-t-il. Ne prenez pas la rigueur de mon propos personellement : je profite du dialogue pour exprimer quelques points de repère qui me tiennent à coeur, et je le fais en toute cordialité, en dehors même de cette rigueur apparente. Que de précautions oratoires...

"Tous les outils sont bons". Mon Dieu... J'aimerais que vous ayez raison, mais hélas, votre optimisme est loin de refléter la réalité. Il est bien des outils défectueux, et l'important est de s'en apercevoir à temps. Ce déplorable article dont il fut question était, et j'ai fait en sorte de montrer pourquoi, de nature à induire les agrégatifs en erreur. Pour se "forger sa propre voie", selon votre expression, encore faut-il se fonder sur des sources fiables, et en l'occurrence ce n'était pas le cas. Attention à ne pas tout mélanger : l'agrégation de lettres n'est pas un concours d'approximations. Le fin mot, en quelque façon, est de glaner au cours de l'année de préparation, une connaissance suffisante des auteurs au programme, pour savoir faire la part des choses, dans la forêt des études critiques, entre les analyses réellement fondées et les quelques inepties qui, on l'a vu, peuvent toujours surgir de toute part. Que l'on se réfère à mon argumentation pour me démontrer le contraire à propos de ce texte, j'en accepte le débat, mais de grâce, il serait à tout le moins décevant de se réfugier derrière un relativisme en vertu duquel toutes les études critiques seraient valables. Le phénomène est finalement, et fort heureusement, assez marginal, mais il se trouve que chaque année, dans le sillage des études livrées aux candidats autour des auteurs présents à l'agrégation de lettres, se glissent de grossières inepties qu'il serait dangereux pour le moins de ne pas relever. Ce forum, qui a suivi en quelque sorte le cours de l'année d'agrégation quant à la présence d'oeuvres de Saint-John Perse au programme, ne pouvait faire l'économie d'une mise en garde de cet ordre, d'autant plus qu'elle m'avait été suggérée par l'alerte d'un agrégatif. Vous me permettrez donc de persister et de signer : non, tous les outils ne sont pas bons, non cet article n'était pas valable et ce, pour les raisons précises que j'avais eu l'occasion de développer.

Mais vous risquez de me trouver encore plus catégorique quand j'attirerai votre attention sur le très mauvais exemple que vous prenez, justement, à savoir celui de Meschonnic. Pourquoi l'évoquez-vous ? Je ne sais pas, mais en revanche, vous me tendez là une perche qu'il m'est difficile de ne pas attraper au vol. Parce que précisément, voyez-vous, ce Meschonnic que vous semblez apprécier, appartient très précisément à cette catégorie de critiques à qui l'on prête une sorte d'omniscience et qui, justement à propos de Saint-John Perse, a été capable de sortir (vous me passerez l'expression, mais je n'en vois pas d'autre en l'espèce) les plus abominables conneries qui puissent être. Tout d'abord, cette nuance en guise de préambule à ce que je vais en dire : je ne voue, pour ma part (mais c'est après tout un choix personnel) aucune révérence a priori à aucun critique et peu m’importe le verbiage pseudo-théorique dont beaucoup se croient obligés d’accompagner leur pensée, et qui plaît énormément à tous ceux qui cherchent des « chemins de traverse » sans voir les… travers des esatz de lecture. Je ne le dirais jamais assez : selon moi, la fonction première d’un critique (et on aura compris que je parle ici des critiques au sens universitaire du terme) est d’éclairer les œuvres dont ils parlent, sans les considérer comme prétextes. C’est déjà là une fonction bien honorable si on parvient à s’en acquitter. Et tous ceux qui s’en éloignent exercent à vrai dire, une autre activité, qui n’a plus rien à voir avec la fonction même de l’étude des textes littéraires. Vous dites aimer les "empêcheurs de tourner en rond" et les "troubleurs de fête de la poésie", et c'est votre droit. Vous reconnaîtrez néanmoins je l'espère le droit de ceux qui cherchent simplement à comprendre, de se tourner avant tout vers ceux qui tentent, très modestement, d'éclairer les textes et leurs repères... avant de ne pas tourner rond. Cela a été tout l'enjeu, justement, de cinquante ans de commentaire de l'oeuvre de Saint-John Perse, cinquante ans au cours desquels les uns et les autres ont fait progresser, chacun à sa façon, la compréhension de cette poésie réputée difficile. Je reconnais, je le confesse, être attaché à cette sorte de déontologie, au prix d’une humilité avouée dans la manière d’aborder la littérature, mais j’aimerais bien que vous me disiez où vous avez vu dans mes propos que je défendais une « version officielle », comme vous le sous-entendez : de quelle version officielle est-il question ? Ou alors, serait-on « officiel » quand donc on se méfierait de ceux qui parlent de ce qu’il ne connaissent manifestement pas ? Eclairez ma lanterne… Mais revenons-en à Meschonnic, parce que la chose est d’importance. Or donc, dans le monde des persiens, Henri Meschonnic est connu pour avoir publié dans la NRF en 1979 un article très étonnant qui est une suite de jugements à l’emporte-pièce : « Historicité de Saint-John Perse ». Je dis bien une suite de jugements à l’emporte-pièce, car c’est, même en termes simplement génériques, la seule façon de le qualifier, tant tout ce qui y est dit ressort de toute évidence d’une acrimonie qui n’a pas sa place en matière d’analyse littéraire, surtout quand on donne à ses propos les allures de la scientificité. Dès lors, je le dis sans ambages : on a affaire en l’espèce uniquement à une entreprise de supercherie – ce qu’il aura été difficile à beaucoup d’avouer pendant longtemps : ce n’est que dans les plus récents développements de la critique persienne que vous verrez ces positions démentes de Meschonnic directement remises en causes et même dénoncées (voyez les récentes publications de Colette Camelin). Pour ma part, je l’avais déjà dit dans un texte il y a quelques années de cela (texte que j’avais d’ailleurs mis en ligne dans le cadre de la préparation des agrégatifs : http://www.sjperse.org/metrique.pdf ) : cette étude révèle non seulement une méconnaissance de toute une part de l’histoire du poème en prose, mais de surcroît, confirme surtout cette acrimonie précitée, qui n’a rien à voir avec un jugement critique. Car disons-le : personne n’est forcé d’aimer ou de n’aimer pas tel ou tel poète, mais faire état de ses goûts personnels et subjectifs dans des textes à vocations critiques, cela est autre chose, et change la nature du débat. Dans ce texte, Meschonnic voyait en Saint-John Perse – je cite :

« une idéologie de la maîtrise, de la métrique, qui en fait, toutes proportions gardées, un Parnassien moderne […]. Comme Sartre le dit de Leconte de Lisle, il a été le versificateur en chef. »

Outre la facilité qu’il y avait à démontrer comme je l’ai dit la sérieuse méconnaissance qui s’exprimait là en matière formelle (je renvoie à mes analyses à ce sujet, dans le texte mis en ligne), il faut reconnaître qu’un point important de ce texte a été pour beaucoup dans une méprise qui a longtemps perduré, à propos du discours historique à l’œuvre dans la poésie de Saint-John Perse. Il serait long de développer ici le fond de cette méprise, et je me contenterais de renvoyer sur ce point, et pour les meilleures analyses en la matière, eu plus récent ouvrage de Colette Camelin, Saint-John Perse – L’imagination créatrice. En tout état de cause, l’autorité dont peut jouir Henri Meschonnic dans une part de l’audience critique a eu pour effet d’avaliser un regard profondément faussé sur Saint-John Perse, regard qui a fort heureusement pu être balayé par la suite par la critique persienne, mais qui est là en tout cas pour prouver s’il en était besoin, du rôle profondément néfaste de ces fameux… mauvais outils, dont ne se servent que de mauvais artisans.

Dernier point auquel vous avez fait allusion :

Citation :
Et si, Irmeyah : si Saint-John Perse est à l'agreg, c'est bien pour qu'on le pèse

En êtes-vous sûr ? L'agrégation serait donc propice aux évaluations, par les candidats eux-mêmes, des qualités littéraires des auteurs qui leur sont soumis ? La voie vous appartient, pour ma part je la trouve assez hasardeuse. Quoi qu'il en soit, c'était donc là les points que je tenais à relever dans votre remarque ponctuelle.
Loïc Céry


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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyDim 8 Juil - 6:36

Quelle ferveur, cher M.Céry! Magnifique! On dirait du Rousseau! Pauvre Meschonnic... Si seulement j'avais des jugements critiques à deux francs sous la main, pour que vous puissiez les réfuter... Je suis toujours navré de m'être trompé l'autre fois, mais c'est vrai que tant d'ardeur est déstabilisant. Maintenant que je me suis familiarisé, j'admire! Je ne connais pas Meschonnic, mais je partage vos vues sur la question de la fonction de la critique. Effectivement, le retour à une appréhension enrichie de l'oeuvre me parait devoir être l'horizon du discours critique, et j'ajouterais que loin de s'opposer radicalement à la critique "esthétique", cette préoccupation d'éclaircissement du texte n'est pas incompatible avec des préoccupations esthétiques. Par exemple, j'aime beaucoup tout ce qui relève des touches impressionnistes: chez Gracq, par exemple, l'acuité est souvent exceptionnelle et se marie très bien à sa virtuosité. L'avantage est de réussir à la fois l'élucidation du sens ET l'incitation affective au retour à l'oeuvre.


En tout cas, cela m'a permis de relire votre article sur la métrique de SJPerse, qui en matière de critique élucidatrice est pour le coup un modèle de concision et d'acuité. C'est vrai que chez Perse particulièrement les soubassements philosophiques sont absolument essentiels, mais on risquerait de se perdre précisément et de délaisser la mise en forme rythmique de cette pensée. Et la poésie de Perse n'est d'ailleurs précisément pas qu'une pensée mais une expérience avec une temporalité propre qui demande à être chaque fois revécue. Poésie qui repose sur une mise en forme effectivement, dans tous les cas, sur une idiosyncrasie formelle géniale, et votre article pour être concis n'en est pas moins complètement éclairant. La clé est effectivement je crois dans une refondation du rythme sur des articulations non plus seulement métriques mais toniques, c'est une poésie qui nous impose véritablement son rythme. Impossible par exemple de lire le texte par un survol optique des groupes de mots, la lecture doit impérativement épouser le mouvement du texte. Et, d'ailleurs, à voix intérieure comme à voix haute, il est aussi difficile que passionnant de parvenir à trouver ce rythme. Là est le véritable hermétisme de Perse, peut-être, plus que l'hermétisme lexical vite évanoui avec un peu de culture ou de recherches. C'est ça qui m'a toujours passionné chez Perse, et tout repose vraiment sur ces géniales modulations du rythme.

A ce propos, un article génial d'E.Caduc, sur le rythme-sens.

http://noesis.revues.org/document.html?id=23
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MessageSujet: Re: Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!)   Au sujet de l'article de Lucien Victor dans LOXIAS (!!!) EmptyDim 8 Juil - 13:57

Oui, Eveline Caduc aime à évoquer le rythme chez Perse, et elle le fait très bien du reste. Ironie du sort : l'un des meilleurs spécialistes à s'être penché sur les questions métriques et rythmiques de la poésie de Perse est un certain Gérard Dessons, que vous connaissez peut-être, et qui y avait consacré sa thèse, sous la direction... d'Henri Meschonnic. Comme quoi, toutes les férules peuvent être dépassées.

Les questions de rythme sont effectivement centrales chez Saint-John Perse : c'est là une caractéristique du poète que d'avoir voulu donner à son oeuvre une enveloppe si savamment orchestrée, jusqu'à une sorte de sommet en la matière qu'accomplit Amers, sur le modèle de l'ode grecque d'ailleurs. Et c'est il est vrai l'un des facteurs qui contribuent à envoûter tant le lecteur. Autour de ces points, les analyses de Jacquline Bateman et de Roger Little sont à mon sens les meilleures (je me suis contenté de les synthétiser dans cet article). Qui plus est, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que le rythme chez Perse (et c'est ce que tente d'expliquer E. Caduc) ne se réduit pas à une question formelle : la substance d'une pensée et d'une vision du monde y trouve son vecteur le plus efficace.
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