Bonjour à vous, et soyez bienvenu sur le forum. Pour vous répondre : non, je ne crois pas que la mention de cratylisme soit en quoi que ce soit réductrice - ou alors, dites-moi en quoi elle vous paraît telle ; vous la trouverez développée notamment dans les analyses de Michèle Aquien (Saint-John Perse. L'être et le nom). La poétique de Saint-John Perse tend en effet à une symbiose de l'expression poétique avec la chose désignée, avec en toile de fond, une sorte de recherche (via l'attention à l'étymologie), avec l'origine du langage. C'est là, proprement dit, le territoire même visé par le cratylisme. C'est un aspect que je me suis contenté de mentionner par allusion, et que je n'avais pas l'intention de développer (il faudrait alors se lancer dans une analyse plus poussée, et une suite importante de réfférences) : il ne s'agaissait alors plus de cette présentation générale de Vents, que cet essai avait pour objet, en ouverture de cette livraison de La nouvelle anabase.
En tant que tel, l'autotélisme concerne un tout autre domaine de la poésie, qu'il serait à mon sens faussé d'appliquer à la poétique persienne : parler de réflexivité de la parole dans l'univers de Perse, oui, mais d'une poétique qui renvoie à elle-même : ce serait là le contraire même de l'objectif à la fois esthétique et éthique de l'écriture dans son cas. Car si réflexivité il y a, si l'univers poétique de Saint-John Perse fait en effet une large place à l'autoréférentialité (ce que la même Michèle Aquien a étudié sous les cas de "référence interne"), ce n'est jamais pour viser un vase clos, comme chez Mallarmé ou Valéry. Si le poète reste "délébile" chez Perse (Exil), c'est bien parce que dire le monde est sa mission, et que son idéal demeure un retour au monde. On est loin, dès lors, de tout autotélisme stricto sensu. Vents tout particulièrelent, est assez exemplaire de ce mouvement : il s'agit de restituer l'énergie fondatrice qui court à travers le monde, en consigner le mouvement de manière très relative dans l'espace du poème, mais en aucune manière, de se fier à cette consignation elle-même. Un propos autotélique se satisferait en quelque sorte, de cette consignation du réel, mais chez Perse il n'en est rien : l'énergie visée par le poème reste toujours à conquérir, et in fine, à re-conquérir, contre tout assoupissement de l'écrit. Dans Amers aussi, vous avez cette défiance vis-à-vis de l'écrit, qui ne doit être pris pour créance absolue, d'où une définition toute relative de l'oeuvre d'art. Tout cela mériterait d'être argumenté, mais je tenais à vous répondre sur ce point et dans ce sens, même en termes purement génériques.
Bien à vous, Loïc Céry