Bienvenue à vous...
A propos de la question du baroque, vous savez, tout style un peu foisonnant au XXe siècle est nommé baroque, personnellement, je ne cherche pas à classer de cette façon, et je crois que la donnée est superflue, pour apprécier la réelle spécificité de Perse du point de vue stylistique...
Pour ce qui est de la polyphonie énonciative, j'avais eu sur le forum "L'agreg et nous" quelques échanges intéressants, dans lesquels je répondais à quelques interrogations sur le sujet justement ; je vous en propose la copie ci-dessous, en espérant que les explications que j'y livrais répondront à votre question. Si vous désirez éventuellement quelques explications supplémentaires, indiquez-le moi.
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J'ai une question qui va probablement vous sembler stupide, M. Céry ,mais je ne comprends rien à l'usage que SJP fait des guillemets.Dans la plupart des chants où il les utilise, il les ouvre au début des versets sans les fermer à la fin de ceux-ci.Et pour les tirets, je ne comprends pas plus comment il fonctionne.
Murène
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Vous avez tous décidément une manière bien particulière de minorer, voire de dénigrer vos propres questions. Ainsi la vôtre n'est aucunement "stupide".
L'usage des guillemets chez Perse est effectivement l'une des difficultés de sa syntaxe, qui intervient tout particulièrement dans Vents et dans Amers, et il est on ne peut plue logique qu'on se demande ce qu'il recouvre.
Vous avez effectivement constaté que très souvent, les guillemets ouverts ne sont pas refermés. Il s'agit ici d'une preuve tangible de la multiplicité des voix engagées dans le poème : le poète donne souvent la parole à certaines instances particulières, en l'occurrence dans Vents, vous avez du remarquer qu'un "Narrateur" est en jeu, qui est un peu le double du poète, sans se confondre néanmoins avec lui. Il s'agit, le plus souvent, de l'engagement de sa parole qui est matérialisé par ces guillemets - et comme dans une citation en bonne et due forme, il convient de réouvrir ces guillemets au début de chaque unité typographique...
Les tirets relèvent un peu du même usage. Mais donnez-moi des exemples, je vous répondrai plus précisément.
Sjperse
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Par exemple, dans le chant 5 de la 4°section de Vents (p.79) je ne comprends par pourquoi SJP met un tiret après avoir ouvert les guillemets"-Se hâter!... et ensuite il ferme les guillemets après"grand Vent!"et il met un tiret -Et du talon...En fait, ouvre-t-il des guillemets à chaque fois qu'il y a un changement d'interlocuteur ?
Et toujours dans la 4°section, au chant 2 (p.68, il n'y a pas de guillemets mais des tirets.
Je me demande vraiment qui parle.Le poète, le narrateur...?
Pourquoi cette polyphonie énonciative ?SJP veut-il brouiller les pistes ?
Murène
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IV, 2 : -Qu'irais-tu chercher là ?
- Qu'irais -tu sceller là ?
-Qu'irais-tu sceller là ?
C'est bien vu, Murène !
En IV, 5, c'est effectivement curieux, le passage qui commence par - Et du talon [...] ne comporte aucun guillemet et est encadré par deux passages plein de guillemets.
Ça fait effet choral : "Et le Vent avec nous comme Maître du chant" (du coup, dans une dissertation, ça ne va pas être simple de citer entre guillemets. Ça dénaturera un peu le texte.)
Le Vent comme Maître du chant répond et les guillemets se succèdent alors qu'il n'y a qu'un seul émetteur ensuite, le Vent, donc à chaque changement de guillemet ne correspond pas un changement d'énonciateur.
Je ne me souviens ni d'une telle polyphonie énonciative, ni d'un tel ton épique chez Mallarmé, mais il est tard : bonne nuit tout le monde !
Luciole
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Vous avez là, pour le premier exemple, un cas où le Narrateur parle (entre guillemets), et où le poète (ou le poème, en tant qu'instance énonciative) reprend la parole. Le tiret, pour "Se hâter", tend à prouver que la chose est mise en évidence, comme pour souligner l'injonction, et d'ailleurs la reprise de cette même injonction, lancée précédemment par le poète.
Tout cela n'est pas une science exacte, en fait. Perse ne brouille pas les pistes, mais son poème est effectivement écrit à plusieurs voix : le Narrateur vit cette action, comme le poète, mais avec deux points de vue dufférents. Le problème, ou plus exactement la multiplicité énonciative en jeu ici, est encore plus prononcée dans Amers. Sur ce problème particulier, je vous recommande de vous référer à quelques développements de la thèse de Chritian Rivoire, que vous trouverez sur le site :
http://www.sjperse.org/these.rivoire.pres.htmSjperse
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Pour le deuxième exemple, cela reste mystérieux !
Luciole
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Non, aucun mystère : la chose est encore plus simple. Dans ce chant, le poète est engagé dans une réflexion personnelle, qui porte sur son cheminement spirituel, celui en tout cas que lui suggèrent les vents. Et il s'agit en somme d'une sorte de soliloque, ce qui induit l'absence de guillemets, et le fait que les tirets engagent une parole interne en quelque sorte. Mais ici, je parle du second exemple évoqué par "Murène", à savoir la p. 68.
Pour celui que vous avez évoqué vous-même, qui se situe dans votre édition p. 79-80, cela correspond à ce que je répondais en premier lieu dans mon message précédent, à savoir cette différenciation (mince, je vous l'accorde), entre la parole du poète (ou du poème lui-même en somme), et celle du Narrateur. Mais il ne faut pas être obnibulé par la question, qu'on apprend à manier à l'usage.
Pour ce qui est de la meilleure manière de citer ce type de chose, je vous recommande de différencier, à l'écrit, deux types de guillemets, anglais et français, pour respecter les ouvertures sans fermeture. J'espère que je me fais bien comprendre. C'est à voir.
Sjperse
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Je vous remercie de m'aider mais malgré la clarté de votre réponse, j'avoue que les problèmes d'énonciation chez Perse me déstabilisent.Je ne saisis toujours pas pourquoi dans certains chants il met des guillemets ou des tirets ,alors que dans d'autres ils sont absents malgré une prise de parole du poète ou du narrateur.Et excusez-moi de vous importuner avec cette question.
Murène
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Récapitulons donc : quand le poète parle, pas de guillemets. Quand le Narrateur parle, guillemets.
Tirets : pour mettre en évidence la parole réflexive du poète, ou la prise de parole appelant une injonction de la part du Narrateur.
Il ne faut pas vous arrêter à ça : avec la pratique, vous allez vous y habituer.
Il s'agit surtout d'y distinguer une volonté de la part de Perse, de placer son poème sous l'énergie de la polyphonie énonciative : le texte est ainsi projeté dans une sorte de dramatisation du propos, ce qui en accentue la densité. Si les guillemets n'intervenaient jamais, ne seraient pas soulignés les motifs de cette dramatisation, en tout cas, c'est son usage qui s'exprime là (et c'est pourquoi il faut aussi être attentif au contexte dans lequel interviennent les guillemets ou les tirets, quel propos ils sous-tendent). Dans Amers, cet usage devient parfois beaucoup plus problématique, surtout dans la partie "centrale" du poème, "Etroits sont les vaisseaux", où il est souvent difficile de reconnaître QUI parle, l'Amant ou l'Amante.
Sjperse