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 Explication de texte : Chronique, I

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2 participants
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Irmeyah




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MessageSujet: Explication de texte : Chronique, I   Explication de texte : Chronique, I EmptyMer 4 Oct - 11:38

Bonjour à tous,

Je me permets de publier ici une deuxième explication de texte type agrégation pour la soumettre à l'appréciation des participants au forum. Comme je suis en ce moment dans SJP, il est vrai que j'ai enchainé deux études en peu de temps, mais étant agrégatif, le temps viendra vite où je consacrerai du temps aux autres auteurs.

Si M. Céry veut faire une lecture de cette explication, qu'il prenne son temps, je ne suis pas pressé, et je le remercie par avance de ses bon conseils.

EXPLICATION de TEXTE : CHRONIQUE, I

Présentation :

Chronique poème-bilan de la vie du poète.
CHRONIQUE, I : Conclusion flamboyante du jour. Influence du lieu et du moment sur l’inspiration poétique, comme toujours.
Bilan philosophique et métaphysique de sa vie personnelle : mais coucher de Soleil est occasion aussi d’élargir une vision au cosmos entier : moment où toute vue converge vers l’embrasement des éléments colorés, mélangés.
Entre dans la dernière partie de sa vie : vieillesse : « Grand âge » ? il devient un « homme du soir » ?
Projection de sentiments existentiels sur un paysage particulier : motif poétique ancien. Inspiration presque romantique de ce début de poème : paysage bigarré dépeint sous le signe de la violence et du feu. Lyrisme intense :

Triade lyrique: ego hic nunc
"nous" "le site" « le soir »
situation : Vieillesse, fin de vie Rivage, situation de limite Fin du jour
(c'était un tableau à 9 cases)

Pbtique :

Quel programme pour cette « chronique » ? Quel nouveau regard sur sa vie/sur la vie et sur le monde provoque la conjonction lyrique et cosmique de la vision de ce coucher de soleil depuis sa maison à Giens ?

PLAN :

I – 3 1ères § : impressions au soleil couchant
II – 2 § suivantes : le mouvement ascensionnel de la méditation cosmique
III – 2 dernières § : sorte d’envoi à soi-même : poème est bien retour sur soi à partir d’une vision cosmique ; vers union céleste ?

I : « impressions au soleil couchant » (lecture qui semble s’imposer …)


Cf. le tableau Impression, Soleil levant de Monet.

Valeur picturale de ce poème liminaire et notamment des § 1-3. Presque une ekphrasis d’un tableau virtuellement représenté.

§ 1 :

- « Grand âge, nous voici » : refrain de toute la Chronique. Polysémie de « grand » : vieillesse, noblesse, élévation, dignité, largesse. « Grand âge » : référence à un « âge d’or » ? Désir de donner à son propre âge une tonalité cosmique : cf. âges géologiques, historiques, etc.
- Adresse directe : prosopopée : toujours ce dialogue entre le poète et le cosmos, le temps lui-même. Le poète est celui qui sait communiquer avec le monde, avec le Temps (Chronos  chronique). Le poète se met en avant avec un « pluriel de majesté », ou bien un pluriel d’inclusion universelle (poète représentant de tous les hommes). Il veut se poser comme un être agissant et non subissant le réel : « nous voici » : affronter le temps.
- « grand » est un adjectif cher à SJP. Idée de grandeur imprègne toute sa poésie, et est omniprésente dans Chronique. Adjectif programmatique : il s’agit d’être grand à l’occasion de ce « grand âge ». cf. § 2 « grand erg, très grand orbe », § 6 « grande rose », « grand arbre »
Grandeur de l’âge-du temps / grandeur de l’espace : « hauteurs » ; « souffle du large » : peut-être jeu entre substantif et adjectif homonymes ; « plus vastes cirques ».

- Motif du déplacement, du franchissement, cher à SJP, et qui fait le lien avec Vents : « souffle du large sur tous les seuils » pourrait être dans Vents. Annonce une ekphrasis qui dépasse la simple vision, la simple picturalité, mais influence tous les sens, et notamment le toucher. Donne une impression de puissance, de violence : le spectacle du Soleil couchant sur l’horizon ‘touche’ … réellement à travers le souffle du large.
- « fronts mis à nu » pour mieux communiquer avec le souffle du cosmos entier ; idée d’élargissement de sa conscience : « pour de plus vastes cirques ». cirques : biosphère, atmosphère (que traversent les rayons du Soleil pour donner le spectacle du coucher), système solaire, galaxie, etc.
- On note la dimension dominante horizontale de ce premier mouvement du poème : « seuils , cirques, marais salants, erg, aire illuminée du Siècle, les eaux mères »

§ 2 :

- ancrage temporel clair : vision violente et fantasmatique mais à partir d’un événement réellement vécu « nous avons vu », et fin § 5 : « ce soir ».
- « ekphrasis » sous le signe de la violence : « fièvre, lances (arme de guerre), défaillances, déchirements d’entrailles, de viscères, ruptures ensanglantées, trouées vives ». On a donc presque un paradoxe qui est représenté dans ce spectacle naturel lui-même : celui d’une fin de vie (fin du jour) non dans le calme, la baisse d’activité, l’avancée progressive vers le non-être, mais la violence, la tourmente, l’exacerbation des couleurs de la vie (le sang, le rouge).
- pourtant, alternance entre le vif et le pâle : « rouge »/ « rose », « marais salants » : couleurs troubles, « erg » : couleur sable ; les couleurs pâles font ressortir encore davantage la vivacité et la violence des couleurs vives, flamboyantes et bigarrées dans la § 3 notamment
- évocation d’une fin du jour qui est aussi la fin de la vie et la fin de la parole : « élisions du jour » = « défaillances du langage » pour le poète qui partage ainsi le destin du cosmos et même du Soleil lui-même : Apollon, dieu des poètes ... La fin de sa vie est aussi fin de sa poésie.

§ 3 :

- violence inouie : « déchirements d’entrailles » : véritable impressionnisme ici, à travers la subjectivité d’une vision, une expérience personnelle intérieure (« viscères ») extériorisée (sur le ciel).
- Ambiguité utile du « Siècle » : le monde, ou le temps ? Coucher de Soleil est événement spatial (la terre tourne) mais aussi la marque d’un passage à un autre temps, celui de « la nuit » (qui arrive d’ailleurs à la dernière §) .
- « linges lavés » : effet de draperie dans le ciel, superposition et froissement d’une couleur/texture ; effet d’inter-impregnations des couleurs sur les diverses « couches » de textures du ciel. « dans les eaux mères » : dans l’océan, sur l’horizon : métaphores personnifiantes encore. Signification : coucher de Soleil est l’occasion d’une purification dans le liquide originel (retour au sein maternel) ? Effet fort sur le lecteur d’une peinture qui n’est pas encore sèche mais mouillée, une coloration mouvante, une ekphrasis véritablement dynamique.
Il a presque l’impression de pouvoir toucher cette texture avec son « doigt d’homme ». Synesthésie de la vision et du toucher : c’est une expérience totale.

- extrêmes : violet (rouge sanguin poussé à l’extrême) et vert (au-delà du rouge et du violet ?) ; couleurs presque irréelles dans le contexte : valeur fantasmagorique, onorique (« songe »). « - trouées vives » : lorsque le songe s’échappe à lui-même, « défaillances » de l’ekphrasis dans l’excès de violence, et d’ailleurs, il y a anacoluthe ou tout du moins « rupture » syntaxique forte.

II : le mouvement ascensionnel de la méditation fantasmatique/cosmique

- verticalité : « étalon hennit » (le cri s’élève), « songe est en haut lieu », « ascension », « haut que soit le site », « une autre mer s’élève », « haute masse et levée »

§ 4 :

- la vision s’éclaircit, s’adoucit ou tout du moins de décolore : « nuée claire », « ventre blanc », « gaze », « calcaires » : le blanc est la coucleur de l’irréel, du rêve. La vision se ralentit et se simplifie aussi (fin de la bigarrure violente) : « seule et lente nuée » ;
- mais toujours de la violence pourtant : « torsion plus vive », « squale », « étalon rouge » : davantage d’animalité : la vision devient plus fantasmagorique : effet d’une élévation onirique à l’approche de la nuit, des astres nocturnes. Le monde devient autre dans cette vision fantasmatique : « ce n’est point de même mer que nous rêvons »
- coucher du Soleil/ élévation du songe (comme les astres « nés de mer »): mouvement inverse. Fin de la vie réelle = début de la vie virtuelle, fantasmatique, onirique.
- Paradoxe : la Chronique n’a pas pour but une vision plus rationnelle du réel … mais au contraire est l’occasion d’échapper à la réalité, de s’en élever par le songe. « ascension réglée sur l’ascension des astres » : ‘Catastérisme’ par le songe, à la mort ?

§ 5 :

- élévation progressive d’une nouvelle « masse », en cette phrase-strophe ; début du songe ?
- « autre mer » = la nuit ? la galaxie ? l’ensemble des étoiles ? à moins que cela ne soit que le nouveau monde du songe (« qui nous suit » dans ‘notre’ songe, « à hauteur du front d’homme », ce front, cet esprit capable de créer des rêves) qui se reflète dans une nouvelle mer
- « très haute masse et levée d’âge » : élévation d’un espace, d’une étendue et en même temps élévation d’un temps : naissance de l’espace du songe et du temps de la nuit.

 cette interprétation semble mauvaise, il s’agit plus certainement de la vision d’un « horizon » bornant la vision et empêchant celle des terres d’Orient, horizon naisssant à l’occasion de ce coucher de Soleil, « comme rempart de pierre au front d’Asie », « très haut seuil en flamme ».

- le poète se met donc à regarder cette fois-ci non plus en Ouest (cf. § 2) mais en Est, vers les « hommes de toujours », les civilisations très anciennes et populeuses : « vivants et morts de même foule »
- idée répétée, scandée, martelée, de hauteur : « si haut », « s’élève », « hauteur », « très haute », « levée », « front », « très haut »
- « Asie » est aussi la Terre du levant, du passé, de l’Antiquité, de l’origine : ce coucher de Soleil éveillerait donc un « rempart » contre le passé, qui devrait être l’objet de la Chronique ! … Une séparation est apparue entre le passé et le présent.

III : retour sur soi à partir d’une vision cosmique ; vers l’union céleste ?

- surrection : mouvement caractéristique de SJP : se lever, « s’en aller » face aux Vents. S’il doit « [lever] la tête », c’est qu’elle était baissée : marque de vieillesse, de faiblesse, de fatigue ? Mais cet impératif réitère la volonté d’action, le désir d’être prêt, d’être-là au monde, d’être présent à l’instant : « nous voici », « lève la tête » ; ce geste est aussi celui qui permet de voir le ciel et qui est donc à l’origine du mouvement du poème lui-même (contemplation d’un coucher de Soleil sur l’horizon puis de l’ « ascension » du « songe »)

- Motif du rose/ de la rose : fleur romantique symbole de l’amour authentique et profond : apparaît § 2 et § 6 : « grande rose des ans » : jeu de mots avec ‘rose des vents’ ; mais jeu avec sens de couleur aussi, en écho à la § 2.

- peut-être aussi jeu des couleurs « rose des ans tourne à ton front » : la lumière du Soleil couchant, en devenant jaune, orange, rouge, violette, verte, puis rose, s’atténuant donc, est une évolution chromatique représentant le cycle des âges de la vie qui arrivent à leur fin ?

- végétalisation du ciel (« arbre, nopal »), animalisation : « cochenilles » ; humanisation : « se vêt » : ciel est un élément vivant, mouvant, qui se déploie, il a des membres de différentes tailles et couleurs ; Soleil couchant est occasion de retrouver toute la nature (plantes, animaux, humains) en une image mouvante. Encore personnification, celles de « grandes îles » « éduquées » par le poète et animalisées telles des animaux domestiques (« nourries d’arbouses », « transhumance » ).

- Encore récurrence des adjectifs « grand » et « haut » : étendues horizontale et verticale ; encore le motif du franchissement : « transhumance » : cette contemplation (active rappelons-le) est l’occasion d’embrasser la grandeur du ciel et du monde, et d’apprivoiser la nature.

- Arrivée aux empyrées : chaleur ; idée de fusion dans cette chaleur : mariage des « cimes lavées d’or » (récurrence de l’idée de purification par le feu du coucher de Soleil) ;


CONCLUSION :

Au terme de ce poème il s’agit donc d’épouser la nature, le temps de la nuit inauguré par le coucher du Soleil, sorte de fête flamboyante, cosmique, totale : vision, toucher, sons des hennissements d’étalon, senteurs des « algues sèches », goût des arbouses et de la genièvre.
La Chronique regarde vers l’Ouest, le futur, plutôt que vers l’Est, le passé : désir, non de clôture des espaces, mais d’élargissement, d’aggrandissement et d’ascension constants.
Des impressions violentes et contraires (« fraicheur » § 1/ « fièvre » § 2 et 7 ; souillure dans les « déchirements d’entrailles » / « linges lavés », « cimes lavées d’or » ; « violet » : mélange de rouge et de bleu / « vert » : mélange de jaune et de bleu) donnent à cette ekphrasis saisissante une tonalité très romantique.
C’est une vision fantasmagorique mais qui domine les sens, tous les sens. Une vision si violente qu’elle semble être à l’origine de l’écriture poétique de ce poème, et de la démarche de la Chronique, c’est la conclusion flamboyante du jour qui éveille le désir de revenir sur les moments de la journée, même si cela doit être au moyen d’un « songe » éthéré.
Enfin, ce coucher de Soleil est l’annonce glorieuse et cosmique de la fin du jour, du soir : il s’agit d’assumer sa condition d’« homme du soir », de s’y préparer.
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Sjperse
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MessageSujet: Re: Explication de texte : Chronique, I   Explication de texte : Chronique, I EmptyMer 4 Oct - 22:11

Cher Irmeyah, je suis ravi de lire votre explication, qui me semble, je vous le dis d'emblée, tout à fait bien sentie, attentive aux déploiement poétique du propos de ce premier chant si important de Chronique. Je vous félicite donc d'avoir très bien relevé la subtilité de tout cet ensemble et ce, dans des domaines qui me paraissent essentiels pour l'organisation des réseaux de sens dans le poème : vous avez ainsi été sensible à la profonde synesthésie des sensations, et encore à cette épaisseur quasi-organique de plusieurs éléments descriptifs (vous avez souligné l'animalisation et la végétalisation du ciel par exemple).

Vous témoignez là d'une attention fine au texte lui-même, et je crois que c'est là une base solide pour un examen de fond du sens engagé ici. C'est cette attention qui vous permet de relever finalement ce mouvement induit par l'attitude de cet "homme du soir", devant la fin de journée et de vie.

Avant de vous suggérer de renforcer cet examen par une interprétation générale plus complète, permettez-moi de vous inciter à rectifier deux points ponctuels. Tout d'abord, qunad vous parlez de "prosopopée", le terme est impropre pour qualifier cette adresse au "Grand âge", qui relèverait à la limite de l'apostrophe, mais aucunement de cette parole attribuée qui est normalement le registre de la prosopopée (par laquelle on donne la parole, alors que l'apostrophe est une adresse).
Ensuite (et c'est là un point qui vous permettra d'être attentif à un élément très signifiant), je vous encourage à être plus sceptique quant au sens du terme "eaux mères", qui joue en fait sur une volontaire polysémie : d'une part l'acception que vous avez relevée et de l'autre, le sens littéral, auquel je vous demande d'être plus attentif : http://www.sjperse.org/repertoire.chronique.htm Faites donc, avec cette base que je vous suggère, vous verrez qu'il y a de quoi tirer certaines conséquences du terme.

Sur le fond, ce que vous ne pouvez pas vous permettre compte tenu de l'acuité du relevé que vous avez effectué et de l'attention qui en découle, c'est une interprétation trop rapide de ce sens global à attribuer à ce chant I. C'est en cela que votre conclusion me paraît devoir être révisée, sur quelques points. Tout d'abord, étant donné que vous en avez distingué je crois les éléments, vous devriez souligner davantage que globalement, cette exacerbation des couleurs, des sensations générales de ce coucher de soleil sont en elles-mêmes signifiantes d'un contre-pied pris délibérément avec le propos convenu sur la vieillesse, et qui inverse littéralement la description engagée ici. Le soleil couchant est traditionnelement synonyme de sérénité, voire d'assoupissement, pour aller vite. Ici, rien de tel. Vous l'avez remarqué, mais vous devriez en tenir compte pour la conclusion elle-même, car c'est là le ton général de ce chant : il y est question d'une ardeur nouvelle, et non pas d'une fin sereine... C'est par ce topos général de l'ardeur, décliné dans diverses dimensions (spatiale, existentielle...) que vous pourrez infléchir avec profit votre interprétation de ce qui vous paraît être une "fantasmagorie", et qui est en fait le résultat de cette exacerbation généralisée, même dans la perception, non pas pour se réfugier dans l'onirique, mais pour tirer du réel (en inversant donc toute interprétation conventionnelle) une source de renouvellement de l'élan vital. C'est ce à quoi est voué ce qui vous paraît "vision fantasmagorique" ; le terme me paraît impropre pour qualifier cette attention exacerbée au réel de ce coucher de soleil, quitte à lui attribuer une nouvelle désinence. Etre attentif à ce registre extrême de l'ardeur, vous permettra d'éviter encore de ratifier créance in fine comme vous semblez le faire (ce qui m'a étonné dans votre conclusion, je vous l'avoue) à cette "tonalité très romantique". Car distinguez bien le mouvement : si cette tonalité, qui repose ne serait-ce que sur le motif du coucher de soleil, est évoquée dès le départ, c'est bien pour la vider de sa subtance, en annuler les présupposés et les conclusions quasi-automatiques. Ce ton romantique court-circuité, ne reste qu'une violence (que vous avez pourtant bien vue) qui restitue l'homme à la crudité de l'espace et du temps. Et on est ici bien loin de tout romantisme (ce serait même un contresens que de ne pas voir cette inversion) : prenez par exemple le registre des couleurs - si l'on devait évoquer une parenté picturale, je penserais plutôt au fauvisme, avec la violence des rouges, etc...

"Lève la tête, homme du soir" : l'essentiel est là. Il s'agit de secouer les conventions de la vieillesse pour trouver en cette fin de vie un nouveau creuset d'ardeur. Et prenez l'impératif au pied de la lettre : il est bien question ici d'une injonction, et c'est pourquoi je ne vous suivrais pas quand vous dites dans votre conclusion qu'"il s’agit d’assumer sa condition d’« homme du soir », de s’y préparer". Un volontarisme est ici en jeu, qui s'oppoe à toute résignation, ou même à toute "sagesse", au sens passif que le terme peut parfois laisser supposer.

Je crois qu'en mettant votre attention fine aux détails du texte au service de ces infléchissements, vous aurez complété la minutie dont vous faites preuve incontestablement, par le décryptage du sens global.
Mais encore une fois, félicitations pour votre explication, très "persienne" dans sa facture.

Bien à vous, Loïc Céry
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MessageSujet: Re: Explication de texte : Chronique, I   Explication de texte : Chronique, I EmptyJeu 5 Oct - 11:30

A mon tour, d'emblée je dois vous dire mille merci, pour votre attention, et mille excuses pour avoir fait des erreurs et des maladresses que je n'aurais pas du faire, telle cette "prosopopée" (je me demande ce qui m'est passé par la tête ...). En ce qui concerne le vocabulaire, je n'ai fait aucune recherche à l'occasion de ce poème, il est vrai, car je n'avais pas repéré de mots rares que je ne connaissais pas (j'ai juste vérifié nopal). Merci de me signaler de faire attention, c'est le genre de choses qu'il ne faut pas commettre à l'oral.

Citation :
Le soleil couchant est traditionnelement synonyme de sérénité, voire d'assoupissement, pour aller vite. Ici, rien de tel. Vous l'avez remarqué, mais vous devriez en tenir compte pour la conclusion elle-même, car c'est là le ton général de ce chant : il y est question d'une ardeur nouvelle, et non pas d'une fin sereine...
Je vous le concèderais entièrement et sans hésiter, si l'explication de texte ne m'avait pas fait arrêter sur des mots comme "ton front serein", p. 88. Mais sans doute est-ce de cette sérénité qu'il évolue et devient ardent et actif ...

Citation :
Etre attentif à ce registre extrême de l'ardeur, vous permettra d'éviter encore de ratifier créance in fine comme vous semblez le faire (ce qui m'a étonné dans votre conclusion, je vous l'avoue) à cette "tonalité très romantique".
Là encore, c'est le genre de maladresse que n'aime pas le jury, je le sais ... Mon impression face à ce poème est cependant l'usage par SJP d'une véritable topique : coucher de Soleil, métaphore du soir pour la vieillesse, métaphore des couleurs de feu dans le ciel, "cimes lavées d'or" (couleur d'Apollon), etc.

Quant au romantisme, je le prenais que dans le sens originel de "description violente d'un paysage, et ses implications émotives". Certes, l'anachronisme est rédhibitoire et un maximum de précaution est à prendre.

Citation :
Et prenez l'impératif au pied de la lettre : il est bien question ici d'une injonction, et c'est pourquoi je ne vous suivrais pas quand vous dites dans votre conclusion qu'"il s’agit d’assumer sa condition d’« homme du soir », de s’y préparer". Un volontarisme est ici en jeu, qui s'oppoe à toute résignation, ou même à toute "sagesse", au sens passif que le terme peut parfois laisser supposer.
L'impression laissée par des expressions comme "Grand âge, nous voici", "Lève la tête, homme du soir" est certes du côté du volontarisme, mais aussi de l'assomption de son état d'homme en fin de "journée". Il ne s'agit pas d'échapper, selon mon sentiment face au texte, à cet "âge", ni de tourner la tête face au coucher de Soleil, mais d'assumer la réalité de cet instant de passage.
C'est ce que j'ai voulu dire, en mettant en même temps l'accent sur la posture active du poète, et sur l'inspiration née de cet instant (ce que j'aurais sans doute du développer).

Mais je vous en prie, signalez moi si je dis encore des bêtises ...

Encore grand merci pour vos conseils.
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MessageSujet: Re: Explication de texte : Chronique, I   Explication de texte : Chronique, I EmptyJeu 5 Oct - 12:13

Alors, votre réponse me permettra si vous le voulez bien, de préciser quelques points. Et vous êtes très loin de dire des bêtises, bien au contraire.

- Tout d'abord, à propos du romantisme, ce à quoi j'aimerais que vous soyez attentif, ce n'est pas tant qu'il s'agit d'anachronisme, car la topique que vous dites est bel et bien mobilisée par Perse. Mais il s'agit pour lui, progressivement, d'en inverser les termes : ainsi le couchant est-il vidé de sa charge de sérénité, pour recouvrer toute la viloence que le poète décèle comme principe même ; il en va également de tous les éléments descriptifs. J'insiste donc sur ce motif de l'inversion du topos romantique : il s'agit de détourner littéralement les conventions romantiques justement, en se fondant sur ce qui peut même paraître une image d'Epinal, tellement elle a été usitée par une certaine veine poétique (le soleil couchant). Donc, parler de tonalité romantique ne relève pas de l'anachronisme : c'est recevable à la seule condition de distinguer ce détournement volontaire effectué par Perse. Mais à cette condition, vous pouvez, et vous devez même en parler.

-
Citation :
L'impression laissée par des expressions comme "Grand âge, nous voici", "Lève la tête, homme du soir" est certes du côté du volontarisme, mais aussi de l'assomption de son état d'homme en fin de "journée". Il ne s'agit pas d'échapper, selon mon sentiment face au texte, à cet "âge", ni de tourner la tête face au coucher de Soleil, mais d'assumer la réalité de cet instant de passage.
C'est ce que j'ai voulu dire, en mettant en même temps l'accent sur la posture active du poète, et sur l'inspiration née de cet instant (ce que j'aurais sans doute du développer).

Cette "assomption" dont vous parlez n'est nullement incompatible avec le volontarisme : elle n'est rendue possible (c'est ce que montre le cheminement du poème) qu'à la condition impérieuse de ce qui se transforme rapidement en face-à-face. Voyez comment débute le chant II - l'injonction que laissait supposer le chant I s'est muée en véritable apostrophe, mise en cause violente (et il faut y être sensible) : "Grand âge, vous mentiez : route de braise et non de cendres..." Rendez-vous compte : "vous mentiez" ! La mise en cause, je dirais même l'invective, est présente. Et quant, au chant final, sera réitéré l'adresse initiale, "Grand âge, nous voici", voyez bien que le poème en est passé par tout un processus où un affrontement réel s'est déroulé, pour qu'enfin, le rendez-vous s'effectue une fois que le processus a été parcouru. Il s'agit d'un parcours en effet, d'un itinéraire plus exactement, où l'"assomption" sera fondée sur un face-à-face très âpre. Et je vous encourage à distinguer tout ce qui, au sein de cet itinéraire, relève dès ce chant I, d'un sentiment de refus de toutes les conventions et du "cours des choses". Il s'agit en somme d'entrer en conflit, pour atteindre une position qui sera celle du poète, et non celle qui était inscrite dans cette "Fraîcheur du soir" qui ouvre le poème. Liez donc les deux entités, volontarisme et assomption, et voyez cette assomption plutôt comme une ascension progressive, conflictuelle et violente.

- A partir de là, si vous percevez ce processus de violence à l'oeuvre dans le poème comme une profonde structuration du propos, vous gagnerez très certainement, à renforcer ce mouvement que vous avez perçu, par une grande subtilité des contrastes d'attitude. Ainsi, ne me concédez rien, mais soyez attentif à la position réelle de "ton front serein", p. 88. Croyez-vous que cela traduise la position "éthique" en quelque sorte, le modèle pour parler plus simplement, auquel s'identifie le poète ? Je ne crois pas du tout. Preuve en est cette précipitation de la fin du premier chant, vers "Fièvre là-haut et lit de braise". C'est ce qui prépare l'apostrophe du chant II. Le poète, en somme, ne portera aucune créance à ce "front serein" qui, là encore, relève plutôt de la topique que vous releviez (Hugo parle souvent des fronts sereins des vieillards, dans Les Contemplations, recueil qu'appréciait beaucoup Perse). Pour Perse, il s'agit bien plutôt de ranimer l'intensité, de se détourner de la sérénité donnée pour évidente, et d'allumer toutes les braises que va parcourir le poème.

Mais pout tout vous dire, je crois que vous faites preuve d'une attention exemplaire quant à l'intimité littérale de ce poème, et je suis convaincu que vous saurez intégrer au mieux ces points-là, qui ne sont certes pas des nuances. En tout cas, c'est un plaisir de vous lire.
J'achève en me permettant de vous recommander deux études excellentes de Chronique, dans le numéro de La nouvelle anabase "spécial agrégation" à paraître à la fin du mois ou au début novembre.
Bien à vous, Loïc Céry
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MessageSujet: Re: Explication de texte : Chronique, I   Explication de texte : Chronique, I EmptyJeu 5 Oct - 12:49

Je suis ravi que la lecture de mes travaux vous fasse plaisir en même temps qu'elle vous prend de votre précieux temps. Merci à nouveau de m'avoir fait bien comprendre la dynamique de l'itinéraire de Chronique, qu'à vrai dire je craignais de ne pas saisir complètement.

Je désirais aussi vous dire que, à cause de mon expérience, j'ai souvent une extrême timidité à voir dans les textes (modernes) une subversion des topiques. J'ai parfois eu l'impression dans mon parcours universitaire que cette approche des textes semblait galvaudée. Mais après tout, quand elle s'impose, elle s'impose, notamment lorsqu'elle est l'occasion d'une inspiration poétique vraiment renouvelée. C'est sans doute une dialectique à laquelle on n'échappe pas, même SJP !
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MessageSujet: Re: Explication de texte : Chronique, I   Explication de texte : Chronique, I EmptyJeu 5 Oct - 12:58

A vrai dire, vous avez raison de vous méfier des subversions érigées en modèles dans l'analyse littéraire, c'est là une vulgate hélas très répandue en effet. Dans le cas de Saint-John Perse, le détournement des conventions poétiques héritées du Romantisme s'effectue, vous l'aurez noté, sans mise en cause frontale - et il faut en effet, je crois, se garder dans l'analyse, des propos simplistes en la matière, car Perse n'est pas un auteur dont on peut dire qu'il subvertisse quoi que ce soit. Je m'en garderais donc, tout en insistant sur les modèles disposés comme en filigrane (intertexte) et dépassés. Il en va aussi de la veine des "poètes maudits" dans Vents. Mais Perse ne tombe pas dans des dialectiques préétablies : il les crée. Je crois qu'il est de saine politique de se départir de toutes ses habitudes de lectures face à Saint-John Perse dont l'idéal était "le luxe de l'inaccoutumance".
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